C’est aussi ça la beauté du trail. Celle de danser avec une crête au crépuscule. Arpenter pendant des heures un chemin cassant qui joue avec notre moral et nos jambes. Admirer le ballet des lampes frontales sur une pente. Voir les crêtes qui s’effacent avec le coucher du soleil.
Le trail permet de saisir un éphémère sentiment d’éternité…
Il apprend à affronter ses pensées qui passent par tous les états: du solide au liquide, du liquide à la vapeur. Le graal, c’est de savoir faire revenir la vapeur en solide. Car de la grâce au désespoir, il n’y a parfois qu’une foulée, qu’une pierre, ou qu’un petit grain de poussière.
Sur cette image, on voit un coureur qui part pour une nuit de lutte intense contre l’obscurité. L’obscurité en miroir de lui-même et de ses douleurs. Il entre dans un face à face de longue haleine qui ne sera pas sans rebondissements. Mais il avance sûr de ses forces, avec pour seules armes ses bâtons, ses barres énergétiques et sa motivation infinie. Sûr de lui, le regard toujours porté vers l’avant et les prochains sommets. Comme Orphée, il ne doit pas se retourner. Le vertige le saisirait et alors le renoncement s’immiscerait trop profondément en lui.
Il a appris à dompter le courage. Il a cultivé cette capacité si paradoxale de ressentir ce plaisir dans la souffrance.
Dans la pénombre, il pensera sûrement à ses proches, à ses grands instants de bonheur et aux petites joies futures, comme ce moment où il enlèvera enfin ses chaussures. Il pensera peut-être à son canapé, ou plus simplement, à une pizza. Parfois il se dira “plus jamais ça”. Mais seules quelques minutes suffiront pour qu’il réalise qu’il n’attend que la prochaine occasion de repartir.
Les athlètes sont des Ulysse à leur façon. Une fois la ligne franchie, la nostalgie des cimes ravage tout.
Dans ces nuits sauvages, la toute puissance de l’âme traverse le ciel comme une comète qui laisse une trace éternelle.
Image: David Gonthier http://pixelencime.fr