Se souviendrait-on d’Achille sans ses coup de sang, sans ses colères, sans ses facéties ?
Je n’oublierai jamais ce documentaire que j’ai vu tout petit. Il portait sur Pelé et Garrincha. Deux des grands joueurs du Brésil de la fin des années 50, début des années 60. D’un côté Pelé fascine avec son destin grandiose, son talent immense, son ascension fulgurante. Souvent considéré comme l’un des plus grands joueurs de tous les temps. De l’autre Garrincha, un nom moins passé à la postérité, mais dont le talent était incroyable.
La confrontation de ces deux figures dans ce documentaire est marquante. Car au contraire de celle de Pelé, la carrière de Garrincha est marquée de hauts et de bas. De grandes victoires ainsi que de lourdes défaites.
Loin de l’image lisse de Pelé. Garrincha est un talent brut, un ailier aux dribbles chaloupés. Il a une histoire controversée, avec des problèmes de genoux et des opérations difficiles. Mais un tel talent… De ceux que qui font croire en l’élu. Il devait être celui qui pouvait tout changer. Tout faire basculer. Mais le destin en a voulu autrement. Les problèmes de blessures, d’alcoolisme, d’addictions, et de comportements ont fait de cet homme, un talent presque gâché. Une carrière courte et fulgurante. Dont l’apothéose n’a d’égale que sa chute brutale.
Ce génie torturé m’a fasciné lorsque j’étais jeune. Bien plus que Pelé. Quand je jouais au foot, je m’imaginais en Garrincha. Car le héros tourmenté attire plus que le héros au destin paisible.
Dans la carrière de Pelé, il y a quelque chose de presque dérangeant. C’est comme s’il était trop fort finalement. Pas humain. Comme si son histoire était trop belle. Il était intouchable, au dessus du lot.
Celle de Garrincha au contraire m’a plus parlé. C’est un héros bien plus humain. Capable des pires vices comme des plus grands exploits. Coupable de l’Hubris parfois. Tutoyant les sommets comme les bas fonds. Comme tout héros grec, il subit l’ire des Dieux de l’Olympe.
Pas d’Hubris sans justice.
C’est pourquoi sa chute est fascinante. Meilleur joueur de la Coupe du Monde 1962, et co-meilleur buteur, il a fini dans l’oubli et le mépris le plus total. Lui que l’on disait capable du meilleur. « L’ange aux jambes coupées » aura passé les dernières années de sa vie seul, entre tentatives de suicide, interné en psychiatrie, et alcoolisme. Il meurt d’une cirrhose.
Comment ne pas y voir le mythe du héros grec confronté à un terrible choix: La gloire époustouflante qui traversera les âges, ou bien une carrière humble.
Garrincha a bel et bien connu la gloire. Mais sa postérité n’est pas éternelle. Bon nombre de personnes, s’ils connaissent Pelé, ne connaissent pas le petit numéro 7 aux jambes arquées. Rappelons nous que, lorsque la Seleçao alignait Pelé et Garrincha, elle n’a jamais perdu un match. Son palmarès au Brésil est éblouissant. Il est toujours une légende pour les noirs et blancs de Botafogo, avec 232 buts. Mais sa fin de carrière est si triste.
Les Héros tourmentés qui jouent toujours entre l’ombre et la lumière me feront toujours bien plus rêver que ceux uniquement dans la lumière. Ils font plus vibrer. Ils procurent la chair de poule. Comme si l’on attendait de nos héros qu’ils nous ressemblent. Qu’ils ne soient pas constamment dans l’apparat et l’image bien contrôlée que les sportifs d’aujourd’hui peuvent avoir.
Pour moi, le véritable champion se révèle d’autant plus comme tel, lorsqu’il connait des grands moments de faiblesses, des grands moments de détresses.
Garrincha était l’un d’eux.
Le documentaire évoqué : http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/13774_1