Imaginez vous à la place de… Vanderlei de Lima
Imaginez. 2004. Jeux Olympiques d’Athènes. Vous courez en tête du marathon. Suite à une attaque placée à mi-parcours, vous êtes seul en tête. La victoire vous tend les bras. 36ème kilomètre… Il n’en reste plus que cinq à accomplir.
Mais que fait cet homme en kilt sur la route ? vous demandez vous.
L’esprit embrumé par l’effort, vous ne comprenez pas. Il vous stoppe et vous plaque dans le public. Vous êtes immobilisés pendant une bonne trentaine de secondes, mais vous repartez toujours en tête.
Comment repartir ? Comment rester concentré dans sa course ? Et comment ne pas se dire que tout est fini ?
Votre rêve s’écroule.
Les Jeux d’Athènes
Vanderlei de Lima a vécu une histoire incroyable sur le Marathon des Jeux Olympiques d’Athènes. Une histoire comme seul le sport sait en inventer.
Ces Jeux là sont hautement symboliques. Comme un retour à son inventeur, ces Olympiades modernes célèbrent la cité qui en a inventé le concept. L’épreuve même du marathon doit son existence à la cité antique d’Athènes, lorsque Philippidès courut entre Marathon et Athènes pour annoncer la victoire militaire de la cité sur l’Empire Perse.
L’épreuve ne peut qu’être mythique. Au cours de l’histoire, les marathons se sont toujours révélés comme des courses extraordinaires, qui mettent au premier plan des athlètes humbles, courageux, et tellement inspirants. Zapotek, Mimoun, Bikila…
Celui d’Athènes ne pouvait pas déroger à la règle. C’était écrit.
Mais qui pouvait s’attendre à un tel scénario ?
Vanderlei de Lima, héros tragique mais récompensé
Vanderlei de Lima est un coureur de marathon Brésilien, dont la première victoire professionnelle fut sur l’épreuve de Reims en 1994. Il remporta notamment les marathons de Tokyo, Sao Paulo et Hambourg.
Sur l’épreuve d’Athènes, il s’était donc échappé à mi-course et s’envolait vers la victoire, avant d’être foudroyé en plein vol par un homme en Kilt orange et chaussettes vertes. Un fantasque Irlandais (qui n’en était pas à sa première irruption dans une compétition sportive) l’emmène dans le public et le retient une poignée de secondes.
Aidé par le public, Vanderlei de Lima arrive à repartir, toujours en tête. Mais il est déconcentré, peine à se remettre dans sa course et désormais il a très mal aux jambes. Petit à petit, ses concurrents reviennent sur lui. D’abord l’Italien Stefano Baldini, futur vainqueur. Puis l’Américain Meb Keflezighi.
Vanderlei de Lima doit se battre pour conserver son avantage sur le quatrième, l’Anglais Jon Brown, afin de garder la médaille de bronze. Mais il y parvient tant bien que mal.
Lorsqu’il entre dans le stade pour les derniers tours, Vanderlei exulte. Il écarte les bras, slalome, et franchit bien la ligne en troisième position. Il est parvenu à ne pas flancher totalement. Il est bien sur le podium. Une belle prouesse, malgré ces circonstances…
Le plus étonnant est sa joie à l’arrivée. Il est si heureux de sa médaille. Il n’est absolument pas déçu. Il semble au comble du bonheur. Il ne se dit pas qu’il aurait dû gagner. Que l’or lui appartenait. Non, le bronze le comble totalement.
Le Brésil tout entier crie au scandale, et réclame une médaille en or pour son athlète. Un volleyeur Brésilien médaillé d’or lui offre même la sienne. Au pays de l’Ordre et du progrès, Vanderlei est devenu un héros encore plus populaire que les footballeurs. Tous, ne parlent que de lui.
Le CIO lui décerne alors la médaille Pierre de Coubertin qui récompense le fair play et l’esprit sportif.
Le Brésil ne l’a jamais oublié. Pour preuve, la cérémonie d’ouverture des Jeux de Rio en 2016… Tout le monde s’attendait à voir le Roi Pelé pour allumer la vasque Olympique. Mais non, c’est bel et bien le Marathonien au destin empêché qui allume la vasque. Le plus beau des hommages…
Les beaux perdants… Et les grandes défaites
Cette histoire est fascinante à bien des égards.
D’abord, le bon esprit du coureur Brésilien est remarquable. Il aurait été facile, voire légitime, de sa part de protester auprès des organisateurs. De revendiquer l’or. De dire que la victoire lui a été volé.
Mais il n’en est rien. Il a su accepter le tragique de l’histoire. En bon stoïcien, il a fait tout ce qu’il a pu. Tout ce qui était entre ses mains. C’est ce sur quoi il ne pouvait avoir de prise qui lui a coûté la victoire. Mais il n’en tient pas compte… Une belle leçon d’humilité.
Savoir accepter que son destin soit renversé de manière injuste est l’une des choses les plus difficile.
Ensuite, il y a aussi le paradoxe de la célébration du beau perdant au destin brisé. Le public retient peut être d’avantage les défaites tragiques que les grandes victoires maîtrisées. Le beau perdant joue un rôle de catharsis pour le public. Tout un chacun peut se dire que finalement, les malheurs qui peuvent lui tomber dessus, ne seront pas pire que ceux du perdant tragique. Plus la défaite est tragique, plus le perdant est magnifique. Plus il s’ancre dans les mémoires.
Mais il faut se montrer beau et grand pour mériter sa place dans la célébration des perdants magnifiques. Il faut avoir fait preuve de valeurs fortes qui ont été contrariées par une force plus obscure. Par un hasard qui foudroie d’un coup d’un seul sans explication.
Ecouter nos défaites
Au contraire, d’autres défaites deviennent des drames nationaux qui marquent tellement les esprits, qu’elles sont passées sous silence. On n’en prononcera plus le nom… Le 7 – 1 de 2014, ou la défaite en finale de la coupe du monde 1950 pour le Brésil par exemple. La seleçao n’évolue plus en Blanc depuis ce jour là… signe de l’immense frustration et de la volonté de faire table rase de cette histoire. Ou pour nous, le traumatisme de la coupe du monde 2010 à Knysna.
On passe sous silence ces évènements, mais on essaie malgré tout d’en tirer des leçons. Après tout, elles ne doivent servir qu’à cela. C’est l’occasion de revendiquer haut et fort des valeurs inspirantes pour repartir de l’avant.
Quelqu’en soit sa forme, la défaite doit être l’objet de remise en cause. Un questionnement profond doit s’opérer afin de repartir du bon pied.
Les défaites fondatrices
Je crois que chaque passionné de sport a sa défaite fondatrice qui a permis de tisser une toile de valeur à suivre dans la lucarne d’un grand rêve. J’en parlais ici, pour moi celle de Jérémy Roy est importante. Mais cette image du Marathonien allant droit vers l’or soudainement retenu dans la foule par un spectateur fut insoutenable.
Qu’auriez-vous fait à sa place vous ? Avant d’apprendre la leçon de Vanderlei, j’aurais tout envoyé en l’air, comme lorsque l’on perd au monopoly. Je serais entré dans une grosse colère et aurais renversé la table.
J’avais 10 ans ce jour là. Vanderlei m’a appris à rester calme, malgré l’injustice. Il m’a appris à accepter mon destin, même s’il est injustement bouleversé. Il m’a appris à me focaliser sur ce que je peux contrôler, et à ne pas faire dépendre mon bonheur de choses dont je n’ai pas le contrôle.
Il m’a appris à être heureux de ce que je possède, et à ne pas avoir de regrets. Jamais.
Ce jour là, j’ai grandi. Merci Vanderlei.
Et vous, quelles sont vos défaites fondatrices ?