Vous arrive t-il d’avoir envie de partir de chez vous ? D’aller vivre à l’autre bout du monde, ou de faire votre sac et de partir en voyage pour cet endroit qui vous a toujours fait rêvé ? C’est une envie totalement normale. L’espace est une matière émotionnelle, qui joue avec nos sentiments. Il influence nos humeurs et nos comportements de différentes manières. Il nous rend parfois nostalgique. La nostalgie est bien plus que simplement le regret de son passé au regard de son présent. La nostalgie est une sensibilité au présent…
Il faut déculpabiliser la nostalgie.
De mon côté, je suis quelqu’un de profondément mélancolique et nostalgique. Au grès des jours, la Saudade laisse son trône au Spleen. Les différents lieux que j’ai traversé sont souvent lestés d’une charge émotionnelle puissante.
La nostalgie mélancolique d’Oslo
J’ai la nostalgie d’Oslo. Même si le terme désigne à l’origine le mal du pays, j’ai une grande nostalgie des endroits où j’ai habité. Oslo, était la ville dont je rêvais depuis mon enfance. J’avais toujours été attiré par la culture nordique, les sports d’hiver, la neige, la beauté rude et sauvage des grands espaces immaculés. J’ai eu la chance de passer six mois formidables dans cette ville. Cela remonte bientôt à cinq ans, mais les souvenirs sont intactes.
Ils sont si forts, qu’il me suffit de fermer les yeux pour me promener à nouveau dans le centre ville enneigé. Pour faire du ski de fond au pied du tremplin d’Holmenkollen éclairé par les lampadaires, puis dans les vastes forêts à la lumière de ma frontale. Ou encore pour courir du lac de Sognsvann en direction des petits refuges qui jalonnent les chemins de randonnées.
Je pourrais refaire les yeux fermés le trajet entre la gare centrale et mon appartement, que j’avais réalisé au premier soir de mon arrivée. Il neigeait comme je n’avais encore jamais vu neigé auparavant. Le froid était saisissant. L’excitation était telle… J’étais là où je voulais être. Je ne connaissais absolument personne. Tout était à construire. Je peux encore m’enivrer de cet état d’euphorie absolue.
J’aime tellement ce lieu, que parfois cela peut devenir un poids au quotidien. Des réminiscences de ma vie nordique remontent parfois. Il faut lutter contre la tendance à tout comparer à cet ailleurs si heureux. Sinon on se retrouve bloqué. Rien ne sera jamais à la hauteur… Au fil des jours, les lieux que l’on a quitté se voilent d’un filtre doré dans nos esprits. Ils deviennent de plus en plus parfaits. L’envie de les retrouver ne fait que croître.
Le Sielunmaisema de la Jacaranda
Beaucoup d’autres lieux me rendent nostalgique. Mais j’éprouve aussi une forme différente de cette nostalgie mélancolique. Une forme plus salvatrice, plus réparatrice. Une forme qui permet de me remonter le moral en cas de coup de mou. C’est un espace secret intérieur, dans lequel je me réfugie. Un espace qui existe bel et bien dans la réalité, mais qui est trop loin de moi au quotidien pour y aller. J’ai découvert qu’un mot Finlandais désignait ce concept, sur lequel je n’avais pas encore mis de mot. Le Sielunmaisema… (Les langues sont parfois si riches, merci à la newsletter https://bulletin.fr/ pour la découverte).
Un coup de blues, une angoisse… je ferme les yeux et je me rends dans cette fabuleuse maison baptisée La Jacaranda. Le havre de paix privilégié de mes vacances, niché dans le massif Esterel et ses roches si rouges, son paysage aride et son littoral d’une beauté chavirante.
Dans cet espace intérieur, je me remémore les vacances avec ma famille. Les petits déjeuners tranquilles et silencieux à observer les collines magiques de l’Esterel. Les moments apaisants, les moments de joies, et les moments de jeux dans la piscine. Mais aussi et surtout les formidables sorties de vélo dans ce cadre unique. Chaque sortie de vélo là bas est une épopée inoubliable. Je ne me lasserai jamais de la route de la corniche d’or, avec cette petite brise et les criques turquoises au milieu de ces calanques carmins. C’est toujours un lieu de rencontre avec beaucoup d’autres cyclistes avec qui on peut partager un coup de pédale. Et puis chaque sortie de vélo a son apothéose… Le retour à la maison pour le saut magistral dans la piscine afin savourer chacune des secondes qui se sont écoulées sur la selle.
Ce jardin secret, c’est ma béquille pour affronter les obstacles de la vie. C’est une citadelle intérieure construite à partir d’un lieu qui existe bel et bien, et que je convoque à volonté.
Le Fernweh, l’ailleurs idéal ?
L’herbe est-elle toujours plus verte ailleurs ?
J’aime profondément le lieu dans lequel je vis. Les montagnes de Haute-Savoie m’ont toujours accompagnées et font partie de qui je suis aujourd’hui. M’en éloigner trop longtemps est toujours difficile.
Mais j’éprouve tout de même cette mélancolie du voyage, de l’ailleurs. La langue allemande possède un mot pour cela. Le Fernweh. Littéralement le mal du lointain. C’est un concept qui résonne fortement en moi. Même si je suis bien où je suis, je désire partir.
Le terme Fernweh s’applique même au fait d’être nostalgique d’un lieu où l’on n’est jamais allé. Quand j’ai découvert cette notion, cela m’a rassuré… Je n’étais pas le seul à éprouver cela. En effet, par la littérature je suis tombé amoureux de New York. J’ai lu beaucoup de livres se déroulant dans cette ville. Ce sont surtout les romans de Paul Auster qui m’ont le plus touché. Alors que je ne m’y suis jamais rendu, j’ai l’impression de très bien connaître cette ville. Grâce aussi à tous les films et toutes les séries que l’on peut voir. Je suis capable de passer des heures à regarder des photos des rues de Manhattan. Je suis hypnotisé.
Parfois, je me rêve en train de déambuler dans l’Upper West Side sur mon Fixie à slalomer entre les voitures, un Bagel sans gluten en poche, pour me rendre dans un café voir des amis. Image on ne peut plus cliché…
C’est pourquoi, certaines vies, certaines expériences, certains voyages, sont mieux à l’état de possible. Mieux vaut les garder irréalisés, mais toujours dans un coin de son esprit. Cela contribue à maintenir une tension, une excitation dans son quotidien. Cela entretien la flamme de l’élan vital.
L’impossible lutte contre le désir d’ailleurs
On a fait d’Ulysse l’archétype de la nostalgie. Lui qui lutte pendant les dix longues années de l’Odyssée pour rentrer chez lui, à Ithaque. Mais on oublie souvent qu’il doit repartir pour un ultime voyage… Un voyage des plus déroutants.
L’Oracle Tirésias lui avait annoncé qu’il devrait marcher, une rame sur le dos, jusqu’à rencontrer un peuple qui lui demande quel est cet objet sur son dos. Alors, il devrait planter la rame dans le sol et il pourrait rentrer et mourir paisiblement auprès des siens.
Mais en aura t-il fini de ses envies d’ailleurs ?
Cet épisode de l’Odyssée m’a toujours interrogé. Il est le signe que l’on n’est finalement jamais à sa place. Il est normal de désirer partir vers l’ailleurs, même si l’on se sent bien et heureux où l’on est. Il est inutile de lutter contre cette force centrifuge. Il faut savoir y céder. Puis, on finira par revenir, car les forces centripètes sont tout aussi vives dans notre for intérieur.
Avoir conscience de ces forces attractives ou répulsives aide grandement à vivre plus sereinement. Il faut apprendre à évaluer ces forces.
Et vous, parvenez vous à maîtriser vos envies d’ailleurs ?