Fabriquer le génie, est-ce vraiment possible ?

Connaissez-vous la famille Polgar ?

Si vous suivez un peu le milieu des échecs, ce nom doit vous être familier. En effet, Judit Polgar est considérée comme la meilleure joueuse d’échecs de tous les temps. Active depuis les années 90 jusqu’en 2014, elle a affronté et battu les meilleurs hommes. Je ne connaissais pas son histoire, et c’est par hasard que j’ai appris comment elle en était arrivée jusque là. James Clear la cite en exemple pour illustrer l’un de ses chapitres dans le livre Atomic Habits. J’ai été subjugué par son histoire, et j’ai voulu en savoir plus… 

De la théorie du Père

Judit est la fille de Lazlo Polgar.

Lazlo Polgar est un enseignant Hongrois. Durant ses études il s’intéresse de près au sujet du génie. Il développe une théorie selon laquelle, le génie dans une discipline peut s’acquérir sous certaines conditions. L’apprendre et la pratiquer assidûment et intensément dès le plus jeune âge. 

N’importe quel enfant peut donc être élevé pour être un génie quelque soit la discipline, selon lui. 

A la réalisation concrète

Lazlo et sa femme vont alors essayer de prouver cette théorie… avec leurs propres enfants. C’est décidé, ils seront des champions d’échecs. Que dis-je? Des génies. Ils vont avoir trois filles. D’abord Susan, puis Sofia et enfin Judit. 

Le couple décide de construire et d’adapter leur environnement afin de développer le meilleur des capacités des filles pour les échecs. Ce jeu est la norme dans le foyer. Tout passe par lui. Les filles sont retirées de l’éducation publique, font l’école à la maison et étudient profondément les mathématiques. Leur appartement est rempli de livres sur les échecs. Des livres sur la théorie, mais également sur les grands tournois, les parties de légendes etc… 

Elles se passionnent toutes trois pour les échecs dès le plus jeune âge. Susan devient à 15 ans la meilleure joueuse féminine, puis elle est la première joueuse à se qualifier pour les championnats du monde d’échecs masculin. Sofia a réussi à se classer 6 ème joueuse mondiale. Judit, comme évoqué plus haut, est la plus grande joueuse féminine et l’une des meilleure joueuse de l’histoire deux sexes confondus. Les trois soeurs ont même remporté ensemble le tournoi par équipe des Olympiades d’Echecs de 1988, détrônant l’URSS alors invaincue. 

Autant dire que Lazlo ne pouvait mieux faire pour prouver sa théorie…

James Clear utilisait l’exemple de Judit pour montrer que lorsque l’on est mélangé à un groupe ayant des routines et des habitudes très marquées, on tend à vouloir s’intégrer dans le groupe. Et l’on adopte naturellement ces mêmes comportements. 

Aujourd’hui les soeurs Polgar militent pour que les échecs soient utilisés dans les systèmes éducatifs dès le plus jeune âge. 

Le génie peut-il donc se façonner ?

Cette expérience est marquante. On peut s’interroger d’un point de vue éthique. Les jeunes filles ont-elles subies cette enfance ? Ont-elles été forcées à pratiquer les échecs ? On peut en effet se demander si, disposant de plus de liberté, elles se seraient tournées vers cette discipline ? 

Si toutefois les filles déclarent avoir eu une enfance heureuse et être venues aux échecs par leur propre décision, le doute persiste. Comment vouloir autre chose, si l’on vit entourer de tous ces livres et si toutes les personnes qui nous entourent ne parlent que de cela ? 

Mais Lazlo Polgar prouve bien ici que sa théorie est vraie. Il réussit même à itérer 3 fois ce qu’il voulait prouver. Le travail dès le plus jeune âge dans une discipline peut bien créer le génie. Cela n’est probablement pas une chose aisée. Aussi faut-il savoir jauger l’investissement de l’enfant, le rapport entre le plaisir et le travail, les récompenses que l’on octroie. Au risque de dégoûter l’enfant de la discipline et de provoquer l’opposé de ce que l’on voulait. Mais il montre tout de même que tout génie n’est pas inné. Qu’en somme, il ne suffit pas d’un heureux hasard génétique pour devenir un champion dans une discipline. L’environnement dans lequel on grandit joue un rôle décisif. 

On parle de plus en plus d’épigénétique désormais. L’environnement dans lequel on grandit favorise l’expression de certains gènes au détriment d’autres. En grandissant focalisé sur les échecs, l’enfant va développer les capacités cognitives favorables à ce jeu. 

On peut mettre cela en parallèle avec la théorie des 10 000 heures de Malcom Gladwell. Une théorie selon laquelle, si l’on passe 10 000 heures à travailler un domaine, on atteindrait un niveau exceptionnel dans celui-ci. Un niveau permettant de figurer parmi l’élite mondiale.

Si cette forme de génie s’acquiert, c’est peut être particulièrement visible dans le sport notamment. Les exemples de fratries, ou de père fils champions ne manquent pas. On peut penser que dans ces familles, les environnements de vies favorisent le sport en question, et les entrainements peuvent être plus qualitatifs.

Mais il s’agit là d’un génie envisagé comme un talent rare, exceptionnel. Comme des capacités bien plus hautes que le commun des mortels. 

Personnellement, j’ai tout de même du mal à écarter l’idée du génie inné. Bobby Fischer, l’un des plus grands génies des échecs commença certes les échecs très tôt, mais son quotient intellectuel a également très vite été diagnostiqué comme étant très élevé. 

La leçon de tout cela serait peut être de ne jamais se dire « je n’étais pas fait pour ça ». Abnégation, travail et persévérance paieront toujours

Une autre facette elle, ne saurait se construire

Mais le génie, ce n’est pas que cela. C’est aussi le geste venu de nulle part. L’idée révolutionnaire. Le coup du siècle. La fulgurance qui laisse tout un chacun pantois. Bouche bée. Et tout un peuple qui chavire. 

Cette fulgurance là ne s’acquiert pas. Elle ne s’apprend pas. Elle apparait aussi vite qu’elle ne s’envole par la suite. 

La volée de Pavard, le coup inattendu de Deep Blue face à Kasparov, le poing d’Ali face à Foreman… 

Tout cela, ce sont bien des coups de génie. Et malgré tout le travail que l’on peut mettre en oeuvre, le génie relève aussi du hasard. Il faut une dose de talent, certes. 

Et puis, il faut un Kairos. Ce moment décisif qui tombe à pic. Qui ne se prévoit pas. 

C’est de cette rencontre que se produit la magie du génie. Lorsqu’une suite de probabilités s’aligne, au moment opportun. 

Et produit un coup du sort que l’on oubliera jamais. 

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